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bOISGUILBERT


le côté abstrait. La situation économique du pays appelait, du reste, des remèdes rapides (|ui nécessitaient surtout l’étude des faits. Les disettes, les difficultés de se procurer du Mé, la détresse financière de l’État, diri- f^’èrent tout d’abord ses études vers l’a^iricul- ture et le commerce. Lancé à la recherche d’un proldème d’ordre pratique, celui de fournir de l’argent à l’État sans appauvrir le pays, Hoispuiliiert, au cours de ses inves- tigations, découvrit en ce qui regarde la tliéorie des échanges, la plus grande partie des vérités économiques sur lesquelles elle repose.

Il va au fond des choses poussé par son génie. Les richesses avant lui étaient consi- dérées comme ne pouvant être acquises qu’au détriment de quelqu’un. Quand un peuple s’enrichissait, c’était au dépens d’un autre. Colbert le croyait avec beaucoup d’hommes éminents de cette époque. Bois- guilbert rétablit la vérité  : les richesses se créent, augmentent. Le profit de l’un n’est pas toujours et nécessairement le dommage de l’autre. Bien au contraire, une solidarité très étroite unit les producteurs de tous les pays. C’est de ce principe qu’il fera sortir toute sa théorie de la liberté. (Irandeet belle découverte qui doit révolutionner toutes les idées étroites de la politique d’alors ! L’abais- sement commercial d’un peuple par la guerre, ne doit plus être le but d’un pays rival. La guerre ruine le pays vainqueur et le pays vaincu  ; elle enlève des bras à l’agriculture, de l’argent au peuple, sur- chargé d’impôts. La théorie de la richesse et des échanges lui fait énoncer en des termes assez longs, mais néanmoins très clairs, celte vérité que J.-B. Say résumera plus tard en la formule « les produits s’échangent contre les produits «. Et alors, il combat à outrance le préjugé si tenace à son époque de l’argent unique richesse. 11 s’acharne sur le métal vénéré, pousse l’exagération jusqu’à le trai- ter d’inutile, de chose sans valeur. L’excès de son langage a sa source, évidemment, dans l’incrédulité qu’on opposait à ses démons- trations. Homme passionné, il s’en prend à l’argent lui-même et le voue aux dieux in- lernaux !

Le principe posé, l’on voit facilement les conséquences. Le moyen de trouver l’argent des impôts est de ne pas ruiner les gens par des réglementations gênantes ; c’est de lais- ser la 7}ature établir l’équilibr’^, la propor- tion des prix. Faire baisser arliticiellement le prix du blé, c’est priver d’un gain légitime les producteurs de blé, c’est abaisser le prix des journées de leurs ouvriers, et diminuer la consommation de tout ce monde. De plus, les


impôts sur la consommation, injustes parce qu’ils frappent plus lourdement les pauvres ([ue les riches, ont une assiette mauvaise, de même que la taille. Et alors il pose, au milieu de tout cet amas de considérations encJK’vêtrées, les principes de l’universalité et de la proportionnalité que Vauban pré- sentera bientôt de façon plus nette. Mais Vauban, malgré son esprit méthodique, ordonné, commet une erreur dans laquelle ne tombe pas Boisguilbert. Le payement de la dîme en nature est impraticable  ; ce sys- tème appliqué pour la dime ecclésiastique n’est point possible en ce qui regarde le nouveau régime fiscal entrevu par ces deux novateurs. Boisguilbert a fait ressortir l’er- reur du maréchal, car il est un impitoyable critique et ne sait pas cacher ses senti- ments. Mais ces deux hommes de bien qui, s’ils n’avaient point la même tète, avaient le même cœur, attaquent énergiquemcnt les traitants, les financiers d’alors, ces pieuvres que M""* de Maintenon considérait comme un mal nécessaire.

On le voit, Boisguilbert est un précur- seur des économistes et plus spécialement des Physiocrates. La question du blé, l’impor- tance de cette denrée à cette époque, la diffi- culté des communications, faisaient de l’agri- culture la branche la plus importante de la production.Contre le vieuxet antique préjugé qui considérait l’or et l’argent comme les seules richesses, Boisguilbert relève la terre, la nourricière de l’humanité. Une tombe pas, néanmoins, dans l’exclusivisme des physio- crates qui virent en elle la cause de toute richesse. Bien certainement, ce petit magis- trat subalterne de Rouen a, par sa concep- tion générale de l’idée des richesses, de la solidarité économique des peuples, fondé la science économique. Ce sont des principes universels qu’il pose, lorsqu’il recherche les racines du mal national. Il nous donne pêle- mêle, la loi de l’offre et de la demande, un embryon de la loi des débouchés, la théorie philosophique de la division du travail. Ces hautes préoccupations ne suppriment pas en lui le sens pratique. Ce fou est un sage, cet absolu tient compte des relativités. S’il balaye impitoyablement les douanes inté- rieures et les droits sur l’exportation, il explique qu’il faut diminuer les droits à l’importation et spécialement sur le blé, mais il voit encore, dans ces droits, un moyen fiscal, qu’il ne voudrait pas suppri- mer complètement, en l’état où se trouve le pays.

il faudrait se reporter au temps où furent émises ces idées afin de comprendre l’éner- gie de caractère qu’il fallut à Boisguilbert


BOISGUILBERT