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NATIONAUX —

églises parmi laquelle se trouvaient des objets d’arts auxquels leur antiquité et le travail des artistes, donnait un prix inesti- mable ; on en tira quelques lingots en métal. Les tableaux, missels, étoffes qui parvinrent dans les magasins nationaux, s’y perdirent pour la plupart. Du mobilier garnissant les palais royaux et les châteaux des émigrés et qui provenaient de la plus belle et de la plus féconde époque de l’art français, le premier de tous aux xvir’ et xvui* siècles, il ne reste que des débris que se disputent les musées publics et les riches amateurs. Ce ne sont point telles compagnies ou tels particuliers qui ont été dépouillés, c’est le pays même dont le patrimoine artistique a subi une irré- parable diminution ^

On a dit et on a cru pendant la première moitié du siècle que les ventes d’immeubles nationaux avaient créé en France la petite propriété. C’est une légende qui n’a plus cours (Voy. Morcellement)  ; il est établi que la petite propriété est en France bien anté- rieure à la Révolution. Les ventes d’immeu- bles nationaux ont-elles du moins accru sen- siblement le nombre des propriétaires? Oui, pense M. de Foville [Morcellement). Non sui- vant MM. Taine {la Révolution), de Molinari {Évolution politique et Révolution), vicomte d’Avenel {Revue des Deux Mondes, mars-avril 1893) et Léonce de Lavergne {Économie ru- rale de la Fraîice). Pour M. de Lavergne, dont la compétence spéciale est connue  : « les biens des émigrés ont changé de mains plu- tôt que de dimensions », parce que ce sont surtout de petits et de moyens propriétaires (parfois fermiers en même temps) qui ont acheté. Il ajoute  : « Depuis 1815 la division des propriétés a fait des progrès bien autre- ment marqués qui montrent ceux qu’elle aurait fait auparavant si elle avait été livrée à elle-même. )) Ainsi cet avantage économi- que qui aurait compensé d’une certaine ma- nière l’iniquité de la mesure n’est pas même assuré.

Ce qui est certain, c’est le dommage moral qu’elle a causé  : le clergé a perdu son indé- pendance puisqu’il relève maintenant du gou- vernement pour sa subsistance et que ses membres sont tombés au rang de fonction- naires au lieu d’être une libre compagnie. Les institutions d’assistance et d’enseignement primaires ont passé aussi aux mains de l’État. Enfin il y a dans les maximes posées et appliquées par l’Assemblée constituante, dans ce droit reconnu aux législateurs de changer l’assiette de la propriété, d’attribuer

1 . On trouvera sur ce point des détails qui ne peuvent être donnés ici dans un travail à ce sBJet publié dans la fié- forme sociale des 10 mars et 1" avril 1892.


— BOISGUILBERT

même à l’État des propriétés privées, un dangereux précédent en même temps qu’un argument bien fort et un très fâcheux exemple donnés ainsi aux socialistes de toutes les écoles.

Hcbert-Valleroux.

BOISGUILBERT (Pierre Le Pesant, sieur de), né à Rouen fu 1646, mort en 1714.

Esprit puissant et original, tempérament vigoureux et parfois violent, Boisguilbert est bien le type de l’inventeur dont l’opi- niâtreté ne connaît pas d’obstacles. Chez lui, le style est l’homme. L’afllux tumultueux des idées se presse sans ordre  ; la précision dans l’expression manque le plus souvent, et nécessite la périphrase massive, débor- dante. Malgré que Bodin ait déjà prononcé le mot de liberté, la liberté n’a pas en- core, pour la servir, la langue claire du xviu"^ siècle.

Boisguilbert, d’ailleurs, ne tient pas compte de l’ignorance de tous ceux auxquels il s’adresse. 11 voit ce que les autres ne voient pas et veut convaincre, malgré tout, ces aveugles. Pour cette œuvre, il n’a point la rhétorique habile d’un Fénelon, ni les traits savamment aiguisés d’un pamphlétaire comme Levassor. Il se précipite, met en tas les arguments, accumule les preuves, les répète, y revient et subitement éclate en superbes emportements. Pontchartrain, sceptique et de son temps, le prend pour un fou. Chamillart, bienveillant, lui accorde une protection qui parait bien plus être une l»itié déguisée. Il a promis de sauver la France en trois heures, on lui donne des mois pour tenter un essai. Une expérience malheureuse, faite dans des circonstances déplorables, en Orléanais, lui ferme toutes les portes. Il n’en continue pas moins de travailler, en dépit de toutes les difficultés, à ce qu’il croit être le salut de son pays. Puis il meurt, comme beaucoup d’initiateurs, sans avoir vu lever la semence féconde de ses idées.

Boisguilbert encore tout imprégné de l’éducation littéraire qu’il avait reçue aux Jésuites de Rouen, puis aux Petites Écoles de MM. de Port-Royal à Paris, débuta, sans suc- cès, dans les lettres par des traductions d’Hé- rodien et de Politien.

D’autres préoccupations hantaient son es- prit. L’état de la France à cette époque, les difficultés financières, résultats de longues guerres et d’une déplorable administration, soulevaient des problèmes de nature à éveiller l’entendement, suivant la pittoresque expression de Vauban. Boisguilbert ne dé- buta pas dans l’étude de ces problèmes par