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L’AFFAIRE DE LA RUE BEAUBOURG

votre souvenir les points saillants de cette affaire… permettez-moi, dis-je, messieurs de la cour, messieurs les jurés, de vous réciter, en allant jusqu’à l’imitation vocale, les paroles prononcées par la victime dans l’instruction :

LA VICTIME, d’un ton un peu gâteux.

Mon Dieu, monsieur le président, c’est bien simple. Je n’ai pas du tout compris pourquoi monsieur qui était mon ami et qui est encore mon ami…

L’AVOCAT.

Vous avez vu à l’audience mon client tressaillir sous cette parole.

LA VICTIME.

Qui est encore mon ami, a voulu attenter à mes jours. — Nous étions tous deux camarades depuis six mois. Nous nous voyions tous les jours. J’arrivais chez lui vers les huit heures du matin et je me mettais à causer, car il faut vous dire que j’aime à causer. (Je suis comme ça.) Je lui racontais généralement ce que j’avais fait la veille ; c’est vrai qu’il avait été avec moi presque tout le temps ; mais il est si distrait qu’on dirait qu’il ne voit ni n’entend rien de ce qui nous arrive quand nous sommes ensemble. Et puis d’ailleurs je lui racontais aussi ce que j’avais fait en le quittant ; pas grand’chose puisque je le quittais le plus tard possible, et aussi ce que j’avais vu le matin depuis mon réveil jusqu’à mon arrivée chez lui. Vous savez, monsieur le juge d’instruction, il n’arrive pas à tout le monde des aventures de roman. Il ne m’en est jamais arrivé à moi. (Je suis comme ça.) Mais au contraire, il se passe presque tous les jours dans ma vie des coïncidences bizarres. Ainsi, par exemple, j’ai rencontré, je ne sais combien de fois, au tournant de la rue Beaubourg, en allant chez l’accusé, un fiacre à numéro impair traîné par un cheval blanc. C’était comme une fatalité. Ça n’arrivait pas absolument tous les jours ! Aussi quand j’en rencontrais un, je disais à mon ami, — je veux dire à l’accusé, — ce matin j’ai