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L’AFFAIRE DE La RUE BEAUBOURG

rencontré mon fiacre impair et son cheval blanc, c’est bizarre ; quand je n’en rencontrais pas, je lui disais : ce matin je n’ai pas rencontré de fiacre impair ni de cheval blanc, au tournant de la rue Beaubourg, c’est bizarre.

L’AVOCAT.

Messieurs de la Cour, messieurs, les jurés, ce régime a duré six mois !

LA VICTIME.

Le jour de la tentative j’ai été chez lui le matin comme d’habitude, — c’est-à-dire non, non, ce jour-là c’était un peu plus tôt, vers sept heures un quart, sept heures vingt. Il dormait je l’ai réveillé et je l’ai trouvé un peu souffrant ; alors je me suis mis à causer pour le distraire. Ce matin-là, j’avais justement rencontré deux fiacres à cheval blanc, au tournant de la rue Beaubourg, mais il y en avait un de numéro pair, c’était bizarre. Je lui ai dit tout ça d’abord et puis je lui ai raconté ce que j’avais fait la veille au soir. Je me rappelle qu’alors mon ami, (Se reprenant.) l’accusé s’est levé et s’est mis à repasser le rasoir sur le cuir… il a même mis de la pâte.

L’AVOCAT.

Messieurs, si je vous raconte tout ça, c’est pour vous montrer combien il est regrettable que la victime ait été manquée.

LA VICTIME.

Quand tu m’as quitté hier soir si brusquement, — il m’avait en effet, quitté très-brusquement — il était neuf heures moins vingt, neuf heures moins un quart. J’ai été rue Montmartre no 47, chez un fabricant de chaussettes, pour lui dire de m’envoyer aujourd’hui à sept heures précises, la demi-douzaine que je lui avais commandée. Moi j’aime qu’on me livre mes commandes exactement. (Je suis comme ça.) Le marchand m’a dit qu’il était en retard parce qu’un employé avait été obligé d’aller aux Ternes livrer une grosse de caleçons à un