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L’OURS.

mère par le spectacle de ma monomanie, je formai le projet de les abandonner et de chercher quelque retraite ignorée du monde, où je pusse me livrer en liberté à mon goût pour la vie solitaire. Vainement ma conscience, me représenta la douleur que j’allais leur causer. Je confiai mon dessein à un ami de ma famille, afin qu’on sût bien que j’avais renoncé volontairement au monde, et qu’on ne crût pas que j’avais été la victime de quelque accident.

Je n’oublierai jamais le jour où je quittai le toit qui m’a vu naître. C’était le matin : mon père était parti pour la chasse ; ma mère dormait encore. Je profitai de cet instant pour sortir sans être vu. La neige couvrait la terre, et un vent glacé agitait tristement la cime des sapins couverts de frimas. Tout autre que moi eût reculé devant ce deuil de la nature ; mais rien n’est plus fort qu’une résolution absurde, et je partis d’un pas ferme intrépide.

Il serait difficile de trouver sur la terre un lieu moins fréquenté que celui que je choisi pour ma retraite. Pendant l’espace de cinq ans, à l’exception d’un Aigle qui vint se poser sur un arbre, à quelque distance de ma caverne, aucun être vivant ne m’apparut de près ou de loin. Les occupations de ma vie contemplative étaient fort simples. À l’aube naissante, j’allais m’asseoir sur la pointe d’un rocher, d’où j’assistais au lever du soleil. La fraîcheur du matin éveillait mon imagination, et je consacrais les premières heures du jour à la composition d’un poëme palingénésique, où je me proposais d’exprimer toutes