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HISTOIRE

Je suivis le conseil de ma mère : pour un Lièvre de dix-huit jours, je me sauvai très-bravement, ma foi : oui, bravement. Et si jamais vous vous trouvez à pareille affaire, ne craignez rien, mes enfants, sauvez-vous. Se retirer devant les forces supérieures, ce n’est pas fuir, c’est imiter les plus grands capitaines, c’est battre en retraite.

Je m’indigne quand je pense à la réputation de poltronnerie qu’on prétend nous faire. Croit-on donc qu’il soit si facile de trouver des jambes à l’heure du danger ? Ce qui fait la force de tous ces beaux parleurs, qui s’arment jusqu’aux dents contre des Animaux sans défense, c’est notre faiblesse. Les grands ne sont grands que parce que nous sommes petits. Un écrivain de bonne foi, Schiller, l’a dit : S’il n’y avait pas de Lièvres, il n’y aurait pas de grands seigneurs.

Je courus donc, je courus longtemps ; quand je fus au bout de mon haleine, un malheureux point de côté me saisit, et je m’évanouis. Je ne sais combien de temps cela dura : mais jugez mon effroi, lorsque je me retrouvai, non plus dans nos vertes campagnes, non plus sous le ciel, non plus sur la terre que j’aime, mais dans une étroite prison, dans un panier fermé.

La fortune m’avait trahi ! Pourtant quand je m’aperçus que je n’étais pas encore mort, j’en fus bien aise ; car j’avais entendu dire que la mort est le pire des maux, parce qu’elle en est le dernier ; mais j’avais entendu dire aussi que les Hommes ne faisaient pas de