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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/15

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Lui ferez-vous encor, de l’humeur dont vous êtes,
La mine, et les doux yeux, que par-tout vous lui faites ?

Stefanie.

Il est vrai que je dis ce que je ne fais pas :
Il est vrai qu’à le voir je trouve trop d’appas :
Et bien qu’il ne m’ait pas par mon foible attaquée,
Qu’il m’a pourtant vaincue.

Louize.

Qu’il m’a pourtant vaincue.Ou du moins détraquée.
Pour moi, si je brûlois, je cacherois mon feu,
Ou je n’en ferois voir que quelquefois un peu :
Car s’il voit, fin qu’il est, en pareille matiére,
Que vous en ayez tant, il n’en recevra guére.
Il est doux, complaisant, fort civil, grand flatteur :
Avec ces qualités, on peut être imposteur,
Avec ces qualités, on trompe dans le monde ;
Et si c’est là-dessus que votre esprit se fonde,
Pour croire que le sien vous est assujetti,
J’ai peur que votre amour n’en est le démenti.
Ou je sais peu de chose en l’amoureux martyre,
Ou c’est modérément que pour vous il soupire,
Et je n’ai pas grand’peur que sa famille un jour
Vous plaide à son sujet pour un meurtre d’amour.
Fût-il comte ou marquis, étant ce que vous êtes,
Il feroit pour le moins le chemin que vous faites.
Votre rare beauté fait tout pour l’acquérir :
Voit-on sur votre amour, son amour enchérir !

Stefanie.

Oui, même avec excès.

Louize.

Oui, même avec excès.Chacun en croit de même,
Chacun croit aisément qu’on l’aime autant qu’il aime,
Vous autres déités, vous avez l’esprit vain.
Ha ! Sortez vîtement de ce doute incertain ;
Qu’il décline son nom, son pays, sa naissance ;
Il est tems qu’à son tour, il fasse quelque avance.
S’il a ce qu’il vous faut, un notaire, un curé ;
S’il n’est pas ce qu’on croit, fît-il bien l’éploré,
Fermez-lui votre porte, et m’en cherchez un autre,
Dont vous serez le fait, comme il sera le vôtre.