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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/176

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Je confesse pourtant que vous allez du pied

Comme moi, pour le moins, voire mieux de moitié ;

Pour moi je ne vais plus quasi que d'une fesse ;

Car vous ne parlez point, et vous rêver sans cesse.

Madame, encore un coup, je ne puis tant aller, [15]

Si je n'ai quelquefois le plaisir de parler :

Mais pourvu que je parle, et que l'on me réponde

J'irai sans me lasser jusques au bout du monde.

LÉONOR

Oui, Béatrix, un peu de conversation,

J'y consens, et t'écoute avec attention. [20]

BÉATRIX

Discourons donc un peu, mais qu'il ne vous déplaise

Du sujet qui vous fait sans carrosse et sans chaise,

Sans Écuyer, sans gens, sans suite, sinon moi,

Courir le long du jour sur le pavé du Roi.

Je ne m'ingère point de condamner la chose [25]

Devant que la savoir : mais l'effet qu'elle cause

Ma lassitude à part, je ne le puis louer :

Car ma chère maîtresse, il vous faut avouer

Que depuis quatre jours que vous courez la rue,

Et faites malgré moi de la Dame inconnue, [30]

Si c'est avec dessein qu'il a mal réussi,

Et si c'est sans dessein que les fous font ainsi,

Vous ne savez pas bien ma foi ce que vous faites,

Que dira-t-on de vous, si l'on sait qui vous êtes ?

Vous qui dites toujours, mon Dieu que dira-t-on ? [35]

Vous qui dites toujours, le trouvera-t-on bon ?

Qui de tout et partout faites la scrupuleuse,

Ne redoutez-vous point qu'on vous nomme coureuse,

Car ce nom-là vous est (sauf votre honneur) bien dû,

Si vous courrez ainsi toujours à corps perdu : [40]

Et ne songez-vous point aux langues de vipère,

Qui tondent sur un oeuf, qui de tout font mystère ;

Les uns diront du moins que vous perdez le sens,

Les autres plus, selon qu'ils seront médisants :

Moi, qui chéris l'honneur autant, et plus qu'un autre, [45]

Que fera-t-on au mien, si l'on s'attaque au vôtre,

Puisque l'on dit toujours, tel maître, tel valet ?

LÉONOR

Je n'attendais pas tant de ton esprit follet,