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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/178

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Et ne prétendre pas aussi pour être aimable,

Qu'on ait droit de laisser périr un misérable,

Quand votre Amant serait plus fier qu'un Narcissus, [75]

J'en viendrais bien à bout, j'en aurais le dessus :

Et si je ne tiens pas la chose difficile,

Comment trouverait-il qui vous vaille en la ville ?

Nommez-le seulement, je vous le rends rendu,

Et quand pour son mérite il ferait l'entendu, [80]

(Car je ne doute point qu'il n'en n'ait plus qu'un autre,

Puisqu'il a le pouvoir d'assujettir le vôtre).

Nous avons pour gagner les superbes Amants

Des secrets aussi forts que des enchantements :

Mais pour vous, que le ciel a faite toute belle, [85]

Vous n'avez qu'à jouer un peu de la prunelle ;

Vous n'avez qu'à lui faire une fois les yeux doux,

Vous le verrez bientôt embrasser vos genoux.

Belle, riche d'esprit, noble, avec tous ces charmes,

Vous avez des désirs qui vous coûtent des larmes ; [90]

C'est à vous bien plutôt à donner des désirs,

Qui causent de l'extase, ou bien des déplaisirs :

Selon que vous serez en humeur de bien faire,

Il sera trop heureux, Madame, de vous plaire.

LÉONOR

Ho, ho, la Béatrix, qui t'en a tant appris ? [95]

Je ne connaissais pas ton mérite et ton pris,

Je ne pensais avoir qu'une simple servante,

Et tu t'es découverte une fille savante.

BÉATRIX

{{VL|Je puis parler d'amour, puisque j'en ai tâté, 100Et vous y puis servir puisque j'en ai traité : Mais depuis un certain, qui mourut à la guerre, Je ne prends plus plaisir aux choses de la terre : Que maudit soit le jour que premier je le vis, Si mon cruel destin ne me l'avait ravi, 105Je ne me verrais pas une simple soubrette : Mais Dieu l'a bien voulu, sa volonté soit faite ; Parlons de votre affaire, et me contez un peu Comment, quand, et par qui votre cœur a pris feu.

Léonor

Ce fut un peu devant que nous fussions ensemble ;

Dieux ! À ce souvenir, je frissonne, et je tremble, [110]