Ne jugez plus de moi par ma noire figure,
Mon visage n'est pas de si mauvaise augure.
Regardez-moi, Monsieur, s'il vous reste des yeux, [575]
Pour d'autres que pour ceux dont vous faites des Dieux.
Ô qu'il est difficile, après vous avoir vue,
De se gardez des maux qui suivent votre vue,
Et si j'avais encor un coeur à saccager,
Madame, qu'avec vous je serais en danger ! [580]
Mais, Madame, il me vient, vous ayant regardée
De votre beau visage une confuse idée,
Il faut bien qu'autrefois il m'ait été connu.
Encore est-ce beaucoup de s'être souvenu
D'un visage commun et fait comme le nôtre, [585]
Tandis qu'absolument possédé par un autre,
On ne vit que pour elle, et l'on songe fort peu
À voir par charité ceux qu'on sauve du feu ;
Car de civilité l'on n'en espère aucune
De qui méprise tout, fors sa bonne fortune. [590]
Femme qui n'êtes pas sans doute son amie,
Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie,
Oui, Madame, il est vrai : contre vous j'ai péché,
Vous me l'avez chez moi justement reproché,
En ne vous voyant point, j'en ai fait pénitence, [595]
Et j'en ai tout de bon beaucoup de repentance.
En ne me voyant point vous n'avez point souffert :
Ce que l'on aime point, sans regret on le perd,
Si vous avez de moi la mémoire perdue,
Puisqu'à notre mérite elle n'était point due ; [600]
Me dire qu'en cela vous avez bien péché,
C'est rire à mes dépens, et même à bon marché,
Vous adorez des yeux qui vous gardent des nôtres :
Mais Seigneur Dom Diègue, ouvrez un peu les vôtres.
Ne faites pas de moi ce mauvais jugement, [605]
De croire qu'à dessein de tromper seulement,