Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ne jugez plus de moi par ma noire figure,

Mon visage n'est pas de si mauvaise augure.

Regardez-moi, Monsieur, s'il vous reste des yeux, [575]

Pour d'autres que pour ceux dont vous faites des Dieux.

DOM DIÈGUE

Ô qu'il est difficile, après vous avoir vue,

De se gardez des maux qui suivent votre vue,

Et si j'avais encor un coeur à saccager,

Madame, qu'avec vous je serais en danger ! [580]

Mais, Madame, il me vient, vous ayant regardée

De votre beau visage une confuse idée,

Il faut bien qu'autrefois il m'ait été connu.

LÉONOR

Encore est-ce beaucoup de s'être souvenu

D'un visage commun et fait comme le nôtre, [585]

Tandis qu'absolument possédé par un autre,

On ne vit que pour elle, et l'on songe fort peu

À voir par charité ceux qu'on sauve du feu ;

Car de civilité l'on n'en espère aucune

De qui méprise tout, fors sa bonne fortune. [590]

DOM DIÈGUE

Femme qui n'êtes pas sans doute son amie,

Qui tâchez d'ébranler ma fortune affermie,

Oui, Madame, il est vrai : contre vous j'ai péché,

Vous me l'avez chez moi justement reproché,

En ne vous voyant point, j'en ai fait pénitence, [595]

Et j'en ai tout de bon beaucoup de repentance.

LÉONOR

En ne me voyant point vous n'avez point souffert :

Ce que l'on aime point, sans regret on le perd,

Si vous avez de moi la mémoire perdue,

Puisqu'à notre mérite elle n'était point due ; [600]

Me dire qu'en cela vous avez bien péché,

C'est rire à mes dépens, et même à bon marché,

Vous adorez des yeux qui vous gardent des nôtres :

Mais Seigneur Dom Diègue, ouvrez un peu les vôtres.

Ne faites pas de moi ce mauvais jugement, [605]

De croire qu'à dessein de tromper seulement,