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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/410

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Et s’il la peut blesser, bon, c’est autant de pris ;
Mais être avec fureur de son amour épris,
Et pour elle oublier son devoir, sa naissance,
C’est en quoi je vous dois manquer de complaisance ;
Et connoissez-vous bien ce révérend seigneur,
À qui vous vous voulez donner pour serviteur ?

d. alfonse.

C’est un homme bien riche, à ce que j’entends dire.

marc-antoine.

Et de qui le métier n’est que de faire rire.

d. alfonse.

Tant mieux.

marc-antoine.

                   Mais il est fou de plus.

d. alfonse.

                                                        Encore mieux,
J’aurai mon passe-temps d’un fou facétieux.

marc-antoine.

Je m’en vais vous en dire et l’histoire et la vie.
Il se fait appeler dom Japhet d’Arménie,
Venu de pére en fils du puîné de Noé.
Voilà le maître à qui vous vous êtes loué.
Au tems que Charles-Quint passa par son village,
On mena devant lui ce sage personnage ;
Il le trouva plaisant, il lui donna du bien,
Lui fit suivre la cour, et presqu’en moins de rien
Le drôle a si bien fait par son humeur plaisante,
Qu’il posséde aujourd’hui cinq mille écus de rente.
César ayant quitté l’Espagne, il a voulu
Paroître en son village, où faisant l’absolu,
(Car il est glorieux) son bien et sa marotte
Ont si mal réussi chez le compatriote,
Que couru des enfans, des autres maltraité,
Et de fréquens affronts tous les jours irrité,
Comme dans son pays on n’est jamais prophete,
Il en est à la fin délogé sans trompette,