Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/573

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ALCIONNE.

   Le sujet de vos pleurs ne se peut-il apprendre;
   Et le temps, & la part qu'une soeur y peut prendre,
   Une soeur qui voudroit tous vos maux partager,
   Ne pourront-ils du moins vostre esprit soulager;

ELISE.

   Le temps, & la raison quand on pert ce qu'on aime,
   Servent de peu de chose en ce malheur extréme,
   Et qui peut esperer de s'en voir soulagé,
   A merité le mal dont il est affligé,

ALCIONNE.

   He quoy ma chere soeur, avez vous quelque affaire,
   Ou quelque déplaisir que vous me deviez taire;

ELISE.

   Ce jeune Cavalier, ce vaillant estranger,
   Qui secouant mon Pere en un mortel danger,
   Dans ce fameux combat où d'un Prince rebelle,
   Rhodes contre Pisandre entreprit la querelle,
   Alcandre, Ha! ce beau nom est tout ce qui de luy,
   Peut-estre resteroit sur la terre aujourd'huy,
   S'il [ne] vivoit encore en l'amoureuse idée,
   Que pour ce cher amant ma memoire a gardée,

ALCIONNE.

   Et quoy le brave Alcandre?...

ELISE.

                                 Est le Prince charmant,
   Que mesme apres sa mort j'ayme si tendrement,
   Peut-estre blasmez vous ma foible resistance;
   Mais si jamais l'amour vous met sous sa puissance,
   Si vous sçauez jamais ce que c'est que d'aymer,
   Vous me plaindrez ma soeur, au lieu de me blasmer.

ALCIONNE.

   Pour estre sans amour, on n'est pas sans tendresse,
   Et je n'ay jamais crû l'amour une foiblesse,
   Mais ce vaillant Alcandre en Cypre parvenu,
   Jusqu'où peut s'eslever un merite connu,
   Et puis que vous l'aymiez d'une ardeur non commune,
   Heureux dans son amour plus que dans sa fortune,