Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/97

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Enfin depuis le temps que la première fois,

Tu me juras de vivre et mourir sous mes Lois.

Deux hivers à la terre ont ses beautés voilées, [25]

Et deux étés deux fois les ont renouvelées.

Mon esprit, cependant par le tien enchanté,

N'a jamais eu soupçon de ta sincérité,

Et sur moins de serment, de lettres, de promesses

Ne t'en aurait pas moins témoigné de tendresses. [30]

Pendant cet heureux temps que Tolède et l'Amour

Te faisaient oublier et Madrid et la Cour ;

Tu sais bien que mes yeux des Galants de Tolède,

Étaient en même temps le mal et le remède.

T'ayant donné mon coeur, les autres vainement [35]

Cherchaient dans mes faveurs le moindre allégement.

Quoique de ton amour trop tôt persuadée,

Ma vertu toutefois m'avait toujours guidée.

Je réglais mes faveurs aux lois de mon honneur ;

Alors que trop sensible aux soupirs de ton coeur, [40]

Ou pour dire le vrai, trop inconsidérée,

Dans mon appartement je te donne une entrée.

Là sans prêter l'oreille à ma faible raison,

Et sans m'assurer mieux contre une trahison ;

Sur un simple papier tu vois que je m'expose, [45]

Aux transports indiscrets d'un amant qui tout ose.

Peut-être que ton feu devient déjà plus lent,

Parce qu-il a trouvé le mien trop violent.

La crainte d'un mépris m'a déjà l'âme atteinte,

Déjà le repentir accompagne ma crainte : [50]

Mais à ce repentir, cher Comte, si tu veux

Tu feras succéder la joie, et tu le peux.

Tu sais que notre Race est égale à la tienne,

Et que pour être pauvre, elle est fort ancienne.

Ta promesse t'oblige à me donner la main ; [55]

Ta foi de l'accomplir sans attendre à demain.

Tu dépends de toi-même, et contre ta parole,

Tu ne peux m'alléguer qu'une excuse frivole ;

Et puisque mon amour fait un excès pour toi,

Il faut que ton amour fasse un excès pour moi : [60]

Mais que dis-je un excès ? Tout ce que tu peux faire,

Et même cet Hymen ne me peut satisfaire,

S'il faut que cet Hymen que ta main m'a promis,

Par ton coeur refroidi soit tant soit peu remis.

L'honneur que j'en reçois, qui d'autant plus me touche, [65]

Qu'il n'aura rien d'indigne exigé de ma bouche,