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Page:Scarron-oeuvres Tome 6-1786.djvu/98

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Ne se verra jamais hors de mon souvenir,

Et jamais.

Le Comte

Je vois bien où vous voulez venir,

Madame : je vois bien où tend votre harangue,

Sans tant vous fatiguer et l'esprit et la langue [70]

Sachez en peu de mots ce que j'ai sur le coeur,

Il n'est rien de plus vrai, que votre oeil mon vainqueur,

Est et sera toujours ma Déité visible ;

Mais, Madame, il est vrai, qu'il m'est autant possible

De ne vous aimer plus, moi qui vous aime tant ? [75]

Que d'être votre époux, et demeurer constant.

J'adore une Maîtresse et j'abhorre une Femme,

Je n'ai plus rien à dire après cela, Madame.

Léonore

Tu n'as plus rien à dire ! À moi ! Cruel, à moi !

Tu n'as plus rien à dire à qui fait tout pour toi ? [80]

Perfide ! Il n'est plus temps de déguiser ton crime.

À mon amour au moins tu devais de l'estime,

Et loin de m'estimer esprit méconnaissant,

Tu payes mon amour d'un mépris offensant.

J'adore une Maîtresse, et j'abhorre une femme ! [85]

Sont-ce là les discours d'un honnête homme ? Infâme !

Et j'abhorre une femme ! À moi, de tels discours ?

Moi, Reine de ton coeur, l'arbitre de tes jours :

Moi, ta félicité, ta Déesse adorable,

Sans qui tout autre objet t'était insupportable. [90]

Ce sont là les discours si souvent répétés,

Et crus trop aisément comme trop écoutés.

Tu ne les faisais donc d'une voix languissante

Que pour te jouer mieux d'une fille innocente.

Tu me trahissais donc ? Et de cette action, [95]

Ta vanité se rit à ma confusion.

Mais tu n'es pas encor, scélérat, où tu penses,

Un coeur noble offensé sait venger ses offenses.

Je vengerai la mienne, et si je ne le puis,

Je ne veux plus survivre à l'état où je suis. [100]

La réputation n'est plus considérée,

Quand on est trop éprise, ou trop désespérée.

Tu me verras partout sans cesse sur tes pas,

Tant que sous ma douleur je ne périrai pas :

Et quand de ma douleur je serai la victime, [105]

Mon ombre jour et nuit le bourreau de ton crime,