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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/116

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Au bon seigneur messer Priam.
Mais qui n’est pas sage à son dam !
Le bon Dieu veuille avoir son âme,
Et me garde de tant de flamme !
Voyant tant de gens amassés,
Je leur dis : "Nous sommes assez
Pour, avant que mourir, apprendre
Que nous savons notre peau vendre
A ces larrons de notre bien,
Qui la voudraient avoir pour rien.
Assurément nos adversaires
Ont gagné nos dieux tutélaires,
Qui, corrompus à beaux deniers,
Ont gagné les champs des premiers :
Ils ont notre ville laissée.
Allons-nous-en, tête baissée,
Leur montrer que nous sommes gens
A les manger à belles dents.
Je pétille que je ne fasse
Sur quelque belle et large face
Des balafres de ma façon.
Sans faire le mauvais garçon,
Je ferai voir à ces maroufles
Que l’on ne me prend point sans moufles
Notre salut et notre espoir
Est certes de n’en point avoir :
Ne nous attendons qu’à nous-mêmes,
Et faisons des efforts extrêmes,
Puisque dans cette extrémité
Tout autre espoir nous est ôté."
Puis je dis : « Qui m’aime me suive ! »
Ils s’écrièrent : "Vive, vive
Le bon seigneur maître Aeneas ;
Et quiconque ne voudra pas
Le suivre en quelque part qu’il aille,
Meure, et soit réputé canaille ! "
Cela dit, sans plus différer,
Ni plus longtemps délibérer,
Nous allâmes, pleins de courage,
Et de désespoir, et de rage,