Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/15

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Voyant tous les vents déchaînés,
Mettant son manteau sur son nez,
Il avait regagné bien vite,
De peur d’être mouillé, son gîte.
Alors Aeneas le pieux,
Regardant tristement les cieux,
Lâcha ces pieuses paroles :
"Je serai donc mangé des soles ?
Cria-t-il, pleurant comme un veau,
Et je finirai dedans l’eau ?
O quatre ou cinq cents fois heureuses,
Ames nobles et valeureuses,
De qui les corps maintenant secs,
Découpés par les glaives grecs,
Ont été de la mort la proie
Devant la muraille de Troie !
O le plus vaillant des Grégeois,
Diomède le Rabat-joie !
Pourquoi ne m’as-tu de ta lance
Percé l’estomac ou la panse ?
J’en aurais le bon Dieu loué,
Et t’en aurais bien avoué.
Au moins aurai-je l’avantage
D’avoir témoigné mon courage,
D’être mort avec Sarpédon,
Ce maître joueur d’espadon,
Auprès d’Hector cet invincible,
A tous les Grégeois si terrible,
Qui si souvent couvrait les bords
Du fleuve Xante de corps morts,
Du fleuve Xante de qui l’onde
A tant enseveli de monde ;
Au lieu que mourir dans la mer,
Où tout ce qu’on boit est amer,
Mangé des harengs et molues,
Des soles, turbots et barbues,
Est un malheur qui me ferait
Rendre grâce à qui me pendrait ! "
Un vilain vent, sans dire gare
(Il fallait qu’il fût bien barbare