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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/152

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A mon cher père, à mon cher fils,
Cent mille reproches je fis,
Leur dis qu’ils en étaient la cause.
Mon père ne fit autre chose
Que me dire : "Elle reviendra,
Ou bien quelqu’un la retiendra.
N’a-t-elle point resté derrière
Pour raccommoder sa jartière ? "
A ce maudit raisonnement
Je pensai perdre jugement ;
Je mordis ma langue de rage.
Certes, si je n’eusse été sage,
Et qu’il n’eût point mon père été,
Je l’eusse bien fort souffleté.
Je comptai deux fois notre monde,
Je fis aux environs la ronde,
Je l’appelai, je la huai
Si fort que je m’en enrouai.
Je quittai cinq des six chemises
Qu’en partant sur moi j’avais mises,
Puis, armé comme un jaquemart,
Au côté tranchant braquemart,
A la main bonne hallebarde,
En disant : "Le bon Dieu me garde !
Je rebroussai vers la cité.
Partout où nous avions été
Je cherchai vainement ma femme.
Toute la ville était en flamme,
Et de notre pauvre maison
Chaque poutre était un tison.
J’allai vers la maison royale,
Qu’on eût prise pour une halle.
Tous les biens par les Grecs volés
Etaient confusément mêlés :
Force enfants, et femmes captives,
Six cuillers d’argent bien massives,
Quatre ou cinq sacs de sous marqués,
Matelas de coton piqués,
Un grand bocal de porcelaine,
Présent fait à la belle Hélène