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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/161

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De l’endroit tout frais ébranché,
Semblable à du sang épanché,
Me fit lors faire une grimace
Qui me défigura la face.
De tout mon cœur je priai Dieu,
Et promis aux nymphes du lieu
Quatre ou cinq livres de chandelles,
Et d’en acheter des plus belles ;
Puis je fis, comme de raison,
Au dieu Mars tacite oraison ;
C’est lui qui commande à baguette
Au peuple Thrace comme au Gète.
Un autre rameau je rompis,
Autre sang écouler j’en fis,
Et tout autant que j’en déchire,
Tout autant de sang chaud j’en tire
Enfin, en ayant bien tiré,
L’arbre ayant comme soupiré,
Et sa perruque secouée,
Me dit, d’une voix enrouée,
Ces mots dont j’eus, en vérité,
Peu s’en fallut, l’esprit gâté :
"Pourquoi diable, seigneur Enée,
Votre main s’est-elle acharnée
Sur le corps d’un de vos amis ?
Si j’étais de vos ennemis,
Encore auriez-vous tort de prendre
Plaisir à sang humain répandre.
Voilà qui n’est ni bon ni beau,
De venir gâter un tombeau.
Je suis le prince Polydore :
Pour une raison qu’on ignore,
Mais je m’imagine pourtant
Que c’est pour quelque argent comptant
Que j’avais dans une ceinture,
Un tyran d’avare nature
M’a mis trop tôt au rang des morts,
Et fait un crible de mon corps.
Ma pauvre chair, de dards percée,
Sous cette terre ramassée