Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Reposait assez doucement ;
Vous êtes venu sottement
Rompre de vos mains violentes
Mes pauvres branches innocentes.
Vous m’avez tout défiguré ;
Du sang que vous m’avez tiré,
Ma demeure est toute rougie.
Arrêtez donc l’hémorragie,
Et, si vous n’en êtes content,
Le diable vous en fasse autant !
Mais plutôt, si vous êtes sage,
Fuyez cet avare rivage,
Et remontez sur vos vaisseaux
Sans plus rompre mes arbrisseaux."
Ainsi parla le dolent tige.
A cet effroyable prodige,
D’un pied ma face s’allongea,
Et dans mon corps mon sang figea.
Peut-être ignorez-vous encore
Quel homme était ce Polydore :
Il était fils de notre roi.
Ce bon prince, rempli d’effroi,
Quand sa ville fut assiégée,
Crut qu’elle serait ravagée.
Il envoya son cher enfant,
Et, sur le dos d’un éléphant,
Son trésor au tyran de Thrace.
Mais voyez la méchante race !
Quand il vit Priam malheureux,
Il cessa d’être généreux.
Le perfide tourne casaque,
Et ce pauvre innocent attaque,
Comme il ne songeait à nul mal.
Il n’est pas un pire animal
Qu’un traître quand il nous fait fête !
Puis après, cette male bête
De ce jeune homme qu’il tronqua
Le riche trésor escroqua.
Mais que ne fait point entreprendre
L’insatiable faim de prendre ?