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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/289

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On peut son vainqueur entraîner,
Souffrir la mort et la donner.
Je pouvais confondre sa flotte,
Me coiffer d’une bourguignotte,
L’attaquer, lui percer le flanc,
Mettre tout à feu, tout à sang,
Egorger le fils et le père,
Mettre le feu dans leur galère,
Et faire des autres vaisseaux
Grillade au beau milieu des eaux ;
Puis, par un désespoir extrême,
Avec eux me perdre moi-même.
Soleil, qui chauffes l’univers,
Soit de droit fil, soit de travers,
Qui tout vois et qui tout regardes,
Et, par les rayons que tu dardes,
Produis la lumière et le jour,
Vis-tu jamais plus lâche tour ?
Junon, qui sais toutes ces choses,
Et qui peut-être me les causes ;
Et toi, ténébreuse Hécaté,
Toi qui par mon ordre as été
La nuit aux carrefours hurlée,
Et par tes saints noms appelée ;
Dames des ténébreux manoirs,
Vengeresses des crimes noirs,
Dieux de la moribonde Elise,
Si la vengeance m’est permise,
Prenez, justes divinités,
Part en mes maux, et m’écoutez !
S’il faut que mon filou d’Enée,
Par l’arrêt de la Destinée,
Laquelle bien souvent ne sait
Pourquoi les choses elle fait ;
S’il faut, dis-je, que ce volage
Attrape enfin quelque rivage,
Que ce ne soit pas sans danger
Et sans avoir peur de plonger !
Qu’il tremble de peur comme un lâche,
Qu’il en pleure comme une vache,