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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/292

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Elle se hâta d’y monter.
Elle avait eu soin d’apporter
La dague de messire Enée,
D’un pan de robe embéguinée,
Afin qu’on ne pût soupçonner
Qu’elle s’en voulût asséner.
Elle aperçut sur la couchette
Où sa faute avait été faite
Du faux amant les caleçons,
Son bonnet de nuit, ses chaussons,
Et le reste de ses guenilles,
Et d’amour quelques béatilles,
Comme rubans, vers et poulets,
Bagues, cheveux et bracelets,
Et puis lâcha paroles telles
A l’aspect de ces bagatelles :
"Bijoux autrefois désirés,
Haillons autrefois honorés,
Et qui maintenant ne me faites
Que haïr celui dont vous êtes,
Ecoutez mes derniers discours !
Je sais que je parle à des sourds,
Mais ma raison s’est envolée ;
Excusez une désolée.
J’ai vécu reine de ces lieux
Tant que l’ont permis les bons dieux ;
J’ai fait faire une belle ville,
J’ai toujours été fort civile ;
Mais, hélas ! pour l’avoir été,
J’ai tout mon cher honneur gâté.
Mon mari, frappé par derrière,
De mon frère qui ne vaut guère,
A reçu satisfaction
Par ma généreuse action
D’avoir sa finance enlevée ;
Chacun m’en a fort approuvée,
Et le rôle que j’ai joué
En ce monde eût été loué,
Si du fils de putain d’Enée
La flotte en ces bords amenée