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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/294

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Que si l’on avait introduit
L’ennemi de jour et de nuit
Dedans Tyr ou dedans Carthage :
Le soldat s’anime au pillage,
Et par les quartiers s’épandant
Va tout prenant et tout perdant ;
Les cris de femmes qu’on viole,
Les regrets de ceux que l’on vole,
Sont portés jusque dans les cieux,
Et le feu, rendu furieux
Par le vent qui se fait de fête,
Paraît victorieux au faîte
Des saints temples et des maisons,
Qu’il réduit après en tisons.
La confusion est semblable,
Après cette mort déplorable,
Dans Carthage, où les Tyriens
Donnent au diable les Troyens.
Anne, ayant appris la nouvelle,
En pensa perdre la cervelle :
Elle y courut, se déchirant
Le visage, et son poil tirant.
Frappant sur quiconque l’arrête,
Et donnant de cul et de tête,
Elle se fit bientôt chemin
A coups de pieds et coups de main.
Ayant ainsi chassé la tourbe,
Elle cria : "Ma sœur la fourbe,
Vous jouez donc de ces tours-là ?
Est-ce bien vivre que cela ?
Vraiment vous en saviez bien d’autres !
Vous traitez donc ainsi les vôtres,
Et tout cet apprêt d’échafaud
Etait un attrape-nigaud ?
Mais, hélas ! de quoi me plaindrai-je ?
A qui raison demanderai-je ?
Pour avoir trop tôt obéi,
J’ai tout perdu, j’ai tout trahi.
O bourguemestres de Carthage,
Vous n’avez guère de courage