Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Darès s’étant donc présenté,
Plus d’un cœur fut épouvanté
De voir ses épaules ossues,
Ses bras, ou plutôt ses massues ;
Outre que ce grand Goliath,
De son naturel un grand fat,
Donnait dans l’air mille gourmades,
Tirait en l’air mille ruades,
Puis, ayant bien frappé, riait
Comme un maître fou qu’il était,
Criant : "Cà, çà, que je le roue,
Que je lui fracasse une joue,
Que je lui crève un oeil ou deux."
Ce défi paru si hideux,
Qu’au diable, s’il y vient personne,
Tant ce puissant paillard étonne
Et Troyens, et Siciliens,
Qui lors furent de grands vauriens.
Ne voyant personne paraître,
Il se crut aisément le maître
Du bœuf, qui peu se tourmentait
De savoir qui son maître était,
Telle était son indifférence :
Il était bœuf de conscience,
Qui laissait les gens quereller
Sans jamais vouloir s’en mêler.
Darès prit cette douce bête
Par les deux cornes de sa tête,
Criant, jusqu’à s’en enrhumer :
 « Qui veut donc se faire assommer ? »
Puis, se tournant vers maître Enée
"Serai-je toute la journée,
Dit-il, attendant qu’un grouin
Se fasse écraser à mon poing ?
Qu’on me mette quelqu’un en tête,
Ou bien que j’emmène la bête ;
Je suis trop longtemps en ce lieu.
— Qu’il ait le bœuf, au nom de Dieu,
Qu’il en fasse des choux, des raves, "
Disaient quelques-uns des plus braves