Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/38

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 royaume si bel et bon,
Qui n’est plus que cendre et charbon,
Et le témoignage effroyable
Qu’ici-bas tout est périssable,
Si jamais ce nom glorieux
Est parvenu jusqu’en ces lieux,
Vous savez bien quelle est la terre
D’où me chasse une horrible guerre.
J’en suis sorti sans dire adieu ;
Et si je me trouve en ce lieu,
Cela ne vient pas de ma tête,
Mais seulement de la tempête
Qui m’a jeté comme un corps mort
Comme par mépris en ce bord.
Je suis le pieux Maître Enée,
De qui la gloire n’est bornée
Que des voûtes du firmament,
Et cela maudit soit qui ment !
J’emporte nos Dieux tutélaires
Soustraits aux Grégeois sanguinaires,
Qui, comme ils sont esprits follets,
S’en eussent fait des marmousets.
J’ai grand dessein sur l’Italie,
On me dira que c’est folie,
Mais ainsi le veut Jupiter ;
Si je l’allais mécontenter,
M’honorant de sa parentèle,
Je serais un Jean de Nivelle
Quand je me suis mis sur les eaux,
J’avais pour le moins vingt vaisseaux,
Mais les vents me l’ont baillé belle :
Quoique protégé de Cybèle,
A peine de vingt que j’avois
En ai-je sept, en tapinois
Que j’ai cachés en ce rivage ;
J’en pleurerais quasi de rage ;
Je me vois sans un quart d’écu,
Pauvre malheureux froid-au-cul,
Dans ces grands déserts de Lybie !
Je suis et d’Europe et d’Asie