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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/410

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Et, pensant fendre une Gorgone,
Son coup ne rencontrant personne,
Ce bon Seigneur un peu trop prompt
Donna d’estomac et de front
En terre, aux pieds de la Sibylle,
Qui, comme elle était fort civile,
Sitôt qu’elle le vit tombé,
Jurant en chartier embourbé,
Lui présenta sa patte d’oie,
Et fit reluire quelque joie
En ses yeux bordés de poils gris
Pour lui remettre les esprits,
Lui disant : « Ce n’est rien, beau sire. »
Aeneas, la voyant sourire,
Lui qui venait de se fâcher,
Eut grande peine à s’empêcher
De lui faire quelque incartade.
Il était sujet à boutade ;
Dans le moindre mal qu’il sentait,
Ce prince courtois s’emportait,
Quoiqu’en un malheur d’importance
Il n’eût que trop de patience,
Et fût d’un esprit très humain.
Il se servit donc de sa main,
La face un peu rouge de honte.
Or, en cet endroit, dit le conte,
Que tant alla, tant chemina,
Et tant les jambes démena,
Tenant sous le bras la Sibylle
Que l’âge rendait moins agile,
Et qui lui criait à tous coups :
 « Enée, où diable courez-vous ? »
Qu’ils se trouvèrent près de l’onde
De l’Achéron, qui toujours gronde,
Et qui, par un canal bourbeux,
A considérer très hideux,
Dans le Cocyte se va perdre
(Rime qui sait rimer en erdre,
Je le laisse à plus fin que moi).
Cet Achéron traîne après soi