Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/411

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Une arène sale et puante,
Et plus sale que l’eau bouillante.
Un batelier nommé Caron
Passe les morts sur l’Achéron.
Il ne fut jamais créature
De plus malplaisante structure ;
Son visage est coque de noix,
Il se peigne avec ses cinq doigts ;
De la sueur que son front sue,
Dans son menton barbu reçue,
Se fait de crasse un demi-doigt ;
Dans ce menton qui la reçoit,
Cette crasse est perpétuelle,
Et s’étend jusqu’à la mamelle ;
Une grosse chaîne de fer
Sert, à ce batelier d’Enfer,
A ceindre une robe tannée.
Quoique carcasse décharnée,
Il est fort, tout maigre qu’il est
(Car les Dieux sont ce qu’il leur plaît),
Et n’est espalier de galère
Battu d’un comite en colère,
Qui rame si vite et si fort
Que ce nautonier de la mort.
Là, comme des poules mouillées,
Les âmes des corps dépouillées
Attendent sur le bord de l’eau
L’heure fatale du bateau.
Comme on voit au mois de décembre
(Je me trompe, c’est en novembre),
Comme on voit donc en ce temps-là
Choir les feuilles deçà, delà,
Les mouches d’été sont moins drues
Que ces feuilles de vents battues,
Et les champs auparavant verts
De feuilles mortes sont couverts :
Ainsi les esprits en grand nombre
Se morfondent en ce lieu sombre,
Grâces au batelier grison.
Va d’une autre comparaison ;