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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/412

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Si l’on improuve la première,
On pourra prendre la dernière.
Comme les oiseaux passagers
Qui sont parmi nous étrangers,
De crainte du froid qui nous gèle,
Gagnent l’Afrique à tire-d’aile ;
Vous les voyez en grands troupeaux
Assemblés sur le bord des eaux,
Où la caravane légère
De son voyage délibère :
Ainsi ces esprits sur le bord
De la rivière de la mort
Attendent à grande malaise
Qu’à ce vieil nautonier il plaise
Les recevoir en son esquif ;
Mais le vilain rébarbatif
Plus qu’aucun batelier des nôtres,
Pousse les uns, frappe les autres,
Et ne passe que qui lui plaît,
Le fantasque animal qu’il est !
Ainsi, sur ce bord effroyable,
La troupe d’esprits misérable
Attend que, son terme accompli,
Elle passe l’eau de l’oubli.
Maître Aeneas eut l’âme émue
De voir cette grande cohue,
Et battre à ce vieil inhumain
Ces esprits nus comme la main.
La vieille se mit à lui dire
"Ne vous étonnez pas, beau Sire :
Tous les esprits infortunés
Qui sont morts sans être inhumés,
Tous ceux qui sans payer leurs dettes
Ont laissé leurs mortels squelettes,
Attendent là durant cent ans,
Mourant de froid, claquant des dents,
Que cet officier de la Parque
Dans sa nacelle les embarque ;
Ce temps-là fait, ce vieil Caron
Les passe à force d’aviron