Aller au contenu

Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/479

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je le jure par maître Enée,
Par sa main de manchette ornée,
Cette main qui, le poing fermé,
A souvent maint homme gourmé,
Et qui, quoiqu’un peu large et plate,
A pourtant la peau délicate ;
Je jure donc que gens puissants,
Et reines et rois florissants,
Nous ont offert leur alliance,
Et leur pays et leur puissance :
Nous les en avons refusés,
Dont ils se sont scandalisés.
Mais les dieux, qui ne sont point bêtes,
Nous rompaient si souvent les têtes
Du pays d’où vint Dardanus
Qu’enfin nous y sommes venus.
Nous avons besoin d’un asile :
Avec nous chemine une ville,
Si bien que qui nous recevra
Son Etat en augmentera.
C’est à vous, Monseigneur, à dire
Si j’obtiens ce que je désire.
Au reste, pour vous donner j’ai
Ce que les rats n’ont pas mangé,
Un bonnet qui fut d’écarlate,
Le verre d’Anchise sans patte,
Mais qu’il chérissait, le Seigneur,
Plus que s’il eût été meilleur,
Car ce verre, à bon mesurage,
Tenait chopine et davantage ;
De Priam le sceptre et le dais
De fine serge de Beauvais
(Pour sa couronne, elle est perdue) ;
Une camisole pelue,
Dont il se servait en hiver ;
Un sien pourpoint de damas vert,
Et deux paires de bas d’étame,
De la main d’Hécuba sa femme."
Ilionée ainsi parla,
Et ses beaux présents étala.