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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/491

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Et cette malheureuse fille
Sera la femme d’un soudrille,
D’un fanfaron, jureur de Dieu,
D’un gueux qui n’a ni feu ni lieu ?
Et Turnus, qui l’a tant servie
Et qui l’aime plus que sa vie,
De parents sans reproche issu,
Qui n’est ni boiteux ni bossu,
Se la verra prendre, à sa barbe,
Par un larron, par un Alarbe,
Un Turc, qui, dès le lendemain
Du jour qu’il aura mis sa main
Dans celle de ma Lavinie,
Avecque sa troupe bannie
S’enfuira, nous laissant tous deux
S’arrachant et barbe et cheveux ?
Ainsi fit de la garce Hélène
Le pâtre au courage de laine,
Pâris, le miroir à putain ;
Ainsi fera pour le certain
Ce corsaire de maître Enée,
Qui, de notre fille emmenée,
Etant lassé de s’ébaudir,
La plantera pour reverdir.
Si le dieu Faune et maint présage
T’ont fait savoir qu’en mariage
Tu ne dois ta fille loger
Qu’avec quelque prince étranger,
Faut-il que ta Majesté craigne,
Turnus n’étant pas sous ton règne,
Mais notre voisin seulement,
De la donner, et promptement,
A ce Turnus dont le bien monte
A dix mille écus à bon compte,
Le tout en droits seigneuriaux
Qu’on m’a dit être les plus beaux ?
Turnus, à qui l’on l’a promise,
Doit l’avoir de nous sans remise,
Ou, si tu la lui veux ôter,
Le diable te puisse emporter ! "