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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/492

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Ainsi parlait la reine Aimée,
Qui fut diablement enflammée
Quand, tenant tels discours souvent,
Autant en emporta le vent
Cependant, après cent batailles,
L’esprit d’Enfer, dans ses entrailles
Etant devenu le plus fort,
Fit prendre à bon sens l’essor ;
Et voilà madame la reine,
De l’esprit d’Enfer toute pleine,
Qui court aux petites-maisons,
Eût-elle cent mille raisons :
Mais la pauvre reine, peu sage,
N’en avait rien qu’une en partage ;
Mais, quand elle en eût eu beaucoup,
Elle les perdait pour ce coup,
Tant elle fut endommagée
De la bête en son corps logée.
Elle court la ville et les champs,
Les sages Latins se cachant,
Soit dans les champs, soit dans la rue,
Tant fort elle mord, frappe et rue.
Virgile, qui n’est pas un sot,
Ici la compare au sabot,
Quand d’enfants la troupe morveuse,
Et quelquefois aussi galeuse,
A coups de lanières de cuir,
Par-ci, par-là, le font fuir :
Le pauvre sabot, pour leur plaire,
Fait mainte course circulaire,
Et les marmousets, à grands coups,
Le chassent, riant comme fous.
De même la reine, étourdie
Plus que sabot ni que toupie,
Court en fureur par-ci, par-là,
Chacun, tremblant, dit : La voilà !
Au diable qui voudrait l’attendre,
Ni pour d’elle son plaisir prendre,
Ni pour tâcher de l’arrêter,
Quelque sot irait s’y frotter.