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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/495

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Courent comme des insensées,
De la laide Alecton poussées.
De leurs bouches criant Iach,
Sort une vapeur de tabac,
Leurs crinières échevelées,
De feuilles de lierre mêlées,
Rendent leurs visages affreux,
Chacun voit leurs endroits honteux.
Leurs piques sont entortillées
De peaux de bêtes dépouillées,
Jurant Dieu si fort, m’a-t-on dit,
Que Jupin en garda le lit.
Au milieu d’elles dame Aimée,
D’une grande torche allumée
Se sert ainsi que d’un guidon ;
Ses yeux, ardents comme un brandon,
Et tristes comme tragédies,
Epouvantent les plus hardies,
Elle chante ou hurle plutôt,
Tant elle chante ou hurle haut
En posture de forcenée,
De Turnus le noir hyménée ;
Son chaud poumon, par son tuyau,
Entonne io, io, io !
"Io, io, s’écriait-elle,
Assistez-moi, troupe fidèle ;
Par saint Bacchus, assistez-moi,
A la barbe même du roi !
Vous êtes mères, je suis mère ;
Une mère vaut bien un père.
Faisons en sorte que Turnus,
Et non le bâtard de Vénus,
Epouse votre noble infante,
Et je suis votre humble servante."
Sur elle ainsi faisait effet
D’Alecton le serpent infect.
Chaque dame dans sa cervelle
Avait de la rage autant qu’elle,
Qui certes en avait alors
Tout ce qu’en peut porter un corps.