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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/496

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Les cartes étant si brouillées
Parmi ces dames barbouillées,
Et par elles le roi Latin
Etant au bout de son latin,
Alecton, sur de grandes ailes
Qui n’étaient ni bonnes ni belles,
Tout d’un vol s’en alla trouver
Le fier Turnus à son lever ;
J’ai menti : ce fut la nuit noire
Qu’il dormait dans un lit d’ivoire
(D’ivoire à tout hasard je dis,
Car un rimeur doit être hardi),
Il dormait dans sa ville Ardée,
Par Acrise, dit-on, fondée,
Ou bien quelqu’autre tel qu’il soit ;
Si dans de l’ivoire il gisoit,
Non plus que qui fonda sa ville,
C’est chose à savoir inutile.
Alecton ne l’aborda pas
Avec ses infernaux appas
Et sous sa forme diablotine,
Mais sous celle d’une béguine
Qui tenait fort de la guenon,
Prêtresse de dame Junon :
Elle était Chalybe nommée,
Vieille dame fort renommée,
Ou, si vous voulez, vieil barbon,
Car sa bouche aux dents de charbon,
De barbe longuette et pointue
Etait amplement revêtue,
Si ce n’est lorsque le rasoir
Tous les huit jours la faisait choir.
Je veux vous donner quelque idée
De la diablesse enchalybée :
Sa face, de couleur de bois,
Avait d’une coque de noix
Et la sécheresse et l’écorce ;
Son corps, qui paraissait sans force,
Etait soutenu d’un bâton ;
Ses cheveux étaient de coton