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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/498

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Souffrant une guerre intestine
Dans ta malheureuse poitrine,
Et de ton chef frappant les murs,
Qui, comme tu sais, sont bien durs.
Junon, qui s’en trouve offensée,
M’a dit là-dessus sa pensée,
Et moi je te la fais savoir.
Songe un peu plus à ton devoir ;
Trop dormir fait mal à la tête,
Et trop dormir, c’est vivre en bête.
Excite-toi, jure un peu Dieu,
Prends ton épée et ton épieu,
Et, suivi de vilains visages,
Va faire cent mille ravages,
Et, si la chose le requiert,
Ayant pris les Troyens sans vert,
De leurs nefs va faire grillade."
A cette malplaisante aubade,
Turnus, riant du bout des dents,
Lui dit : "Vieille aux tétons pendants,
Qui diable si matin t’amène,
Avecque ta mauvaise haleine,
Venir troubler mon doux sommeil ?
Va, va, rengaine ton conseil,
Et t’en va filer ta quenouille.
La flotte qui près d’ici mouille
N’y mouille point à mon insu ;
La vieillesse a ton oeil déçu,
Et te fait avoir la berlue,
Vieil barbon ou vieille barbue,
Car ton menton, si fort barbu,
Rend ton sexe fort ambigu,
Et tu peux être de ces dames
Sujettes au vin comme aux femmes.
De ton temple, et des Immortels,
Va-t’en tenir nets les autels,
Et me laisse la guerre à faire.
Ma foi, c’est bien là ton affaire,
C’est bien toi qui dois conseiller
A moi Turnus de batailler !