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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/510

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Pour plaire à leur madame Aimée,
Criant, d’une voix enrhumée,
Qu’Aeneas n’était qu’un pendard
Digne pour le moins de la hart,
Et qu’il fallait à belle guerre
Le renvoyer hors de la terre,
Et, devant que le renvoyer,
De mille coups le rudoyer ;
Mais à ces discours d’ivrognesses,
Le roi dit : « Je m’en bats les fesses. »
Et, pour les arguments cornus
Que lui fit le brutal Turnus,
Il se renfrogna le visage,
Dont le jouvenceau plein de rage
Dit tout bas ne parlant qu’à soi :
 « Maugrébieu du fantasque roi ! »
Lors chacun dit tout ce qu’il pense,
Et tout s’en va dans la licence,
Et n’est le moindre petit fat
Qui ne veuille régler l’Etat ;
Mais le roi demeure intrépide
Comme un roc, quand la mer se ride,
Et que ses flots audacieux
Semblent vouloir mouiller les cieux ;
Le roc n’en change point de place,
Quoi qu’autour de lui la mer fasse,
Et l’on peut, parlant de ce roc,
L’appeler hardi comme un coq.
Enfin ce prince débonnaire,
Voyant qu’il n’y savait que faire,
Et que, tout sage qu’il était,
Le plus fou sur lui l’emportait,
Il perdit force et patience,
Qui, comme on dit, passe science :
"Heu, disait-il en s’arrachant
Son crin, et maint soupir lâchant,
Dont il eût pu fendre une pierre,
Nous aurons donc enfin la guerre,
Et le Destin, qui n’est qu’un fou,
Nous entraîne je ne sais où,