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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/530

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Cette nation a la guerre
Avecque la latine terre ;
Le Latin et l’Arcadien,
Ainsi que le chat et le chien,
Ont entre eux une grande haine,
Et c’est une chose certaine
Qu’au moindre petit compliment
Ils t’assisteront puissamment.
Vas-y je ferai que ma course
Rebroussera devers sa source ;
Pour peu que tes gens rameront,
Aisément ils surmonteront
Le fil de mon eau retardée,
Et ta flotte, par toi guidée,
En peu de temps ramènera
Le secours qu’on te donnera.
Sitôt que l’Aurore pleureuse
Aura mis la Nuit ténébreuse
Hors des bornes de l’horizon,
Il faudra, comme de raison,
Faire à Junon un sacrifice,
Afin qu’elle te soit propice ;
Il faudra m’en faire un aussi,
Dont je te dirai grand merci,
Moi qui suis le fleuve du Tibre,
Fleuve non du plus gros calibre,
Mais dont le poisson est fort bon,
Quoiqu’il sente un peu le limon
Le Fleuve, après tant de promesses,
Fit le plongeon, montrant ses fesses,
Parmi des roseaux se coula,
Et maître Aeneas s’éveilla
A l’heure que le soleil jaune,
Déjà de la longueur d’une aune,
Dorait le ciel encore enduit
Du noir à noircir de la nuit ;
Mais bientôt cette couleur brune
S’évanouit avec la lune.
Enée avec sa main puisa
De l’eau claire et s’en arrosa.