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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/59

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Ou si de notre Roi perdu
Le corps vainement attendu
Est mangé de quelque baleine,
Et de son fils l’attente est vaine,
Pour le moins qu’il nous soit permis,
Au lieu de ce pays promis,
D’aller chercher un autre asile
Chez Acestes dans la Sicile,
Si tout ce qu’a dit le destin
De ce plaisant pays latin
N’est rien qu’une billevesée,
Dont on nous a l’âme abusée,
Un vrai conte à dormir debout,
Une chimère, et puis c’est tout,
Une franche imposture, en somme,
Dont un Dieu qui ment comme un homme
(Sauf son honneur, c’est Jupiter, )
A voulu nos malheurs flatter."
Ainsi finit Ilionée,
Dont louange lui fut donnée
Par quelques-uns des Tyriens ;
C’est pour dire vrai, les Troyens
Eurent la cervelle étourdie
D’une harangue si hardie,
Ils s’en mirent à bourdonner,
Quand la Reine, sans s’étonner
D’avoir une réponse à faire,
Ouvrit la bouche et les fit taire.
Voici tout, à ce qu’on me dit,
Ce qui de sa bouche sortit,
Après avoir, tête penchée,
Un peu sa harangue ébauchée :
"Bonnes gens, n’ayez point de peur,
Je vous jure par mon honneur,
Et ce n’est pas peu quand j’y jure,
Qu’on ne vous fera nulle injure.
Une affaire longue à conter
Me force de faire arrêter
Ceux qu’on trouve portant rapières
Aux environs de nos frontières