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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/71

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Le friand en avalerait
Un pain, qui le lui donnerait.
Voici ce que lui dit sa mère :
"Puissant enfant d’un puissant père,
Qui prises bien moins qu’un chiffon
Les dards dont fut tué Typhon,
Et qui des tiens sur les fressures
Fait tant d’incurables blessures,
Tu sais fort bien comme Junon,
Qui ne fit jamais rien de bon,
Persécute Aeneas le pie ;
Tu sais bien que cette harpie
En dépit du monde fera
Contre lui ce qu’elle pourra ;
C’est une dangereuse bête :
On doit tout craindre de sa tête.
Mais j’espère, par ton moyen,
Que je l’en garantirai bien.
Je te demande une journée
Pour le salut du pauvre Enée.
Il fait apporter à Didon,
Par son fils, je ne sais quel don ;
Je veux que tu prennes sa forme ;
Je ferai cependant qu’il dorme
Dans mon palais le long du jour,
De crainte que jouant le tour
Dont je veux abuser Elise,
Par sa rencontre il ne nous nuise.
Tu porteras donc ces présents,
Qui lui deviendront bien cuisants.
Mets-lui le coquetisme en tête,
S’entend sans penser déshonnête :
Il est bien aisé, sans pécher,
De lui rendre Aeneas bien cher.
Si la Dame est bien assénée,
Elle aura plus de soin d’Enée
Que de la prunelle de l’oeil,
Et Junon en mourra de deuil.
Par toi je règne dans le monde,
En toi tout mon espoir se fonde ;