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Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/70

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Elle sait que les Tyriens
Sont pour la plupart des vauriens,
Gens sans honneur et sans parole ;
Et, de plus, que Junon la folle,
Dont la tête est près du bonnet,
S’est donnée au diable tout net,
De faire aux Troyens pis que pendre,
Sans jamais se lasser ni rendre.
Pour empêcher un tel dessein,
Qui ne part pas d’un esprit sain,
La bonne Dame Cythérée,
La chose bien considérée,
Trouva que son fils Cupidon
Pouvait en donner à Didon
Si très avant dans la poitrine,
Et l’embraser d’amour si fine
Que la pauvrette ne pourrait,
Quand Junon lui commanderait,
Faire du mal au sieur Enée,
Qui tiendrait son âme enchaînée.
Il est vrai que pour cet effet
Cupidon était son vrai fait,
Quoiqu’enfant, quoique Dieu céleste,
Une très dangereuse peste,
Et qui brûle, dont j’ai pitié,
Du monde plus de la moitié.
La bonne Dame de Cythère,
Avec autorité de mère,
Fit donc appeler Cupidon ;
Ce petit Dieu porte-brandon
Fut trouvé qui trempait ses flèches,
Dont les fers sont vives flammèches,
Dans de l’essence de chagrin,
De laquelle il ne faut qu’un grain
Pour rendre une âme forcenée,
Presqu’autant qu’une âme damnée.
Voyant sa mère, il s’inclina ;
Demi-livre elle lui donna
De sucre, faute de dragée,
Qui fut en peu de temps mangée :