Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/75

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Et bien qu’il eût l’esprit si meur
Le met en une étrange humeur.
Pour la Didon, elle s’en donne
Tant et tant, que je m’en étonne ;
Mais qu’eût-elle pu faire enfin
Contre un Dieu des Dieux le plus fin ?
Elle le prend, la pauvre sotte,
Le baise, caresse et dorlote,
Mais la pauvre sotte ne sait
En le prenant ce qu’elle fait ;
Elle ne sait, la misérable,
Que ce Dieu, qu’elle trouve aimable,
Est un Dieu plus traître et félon
Que ne fut jamais Ganelon.
Chaque fois qu’elle le regarde,
Ce traître Cupidon lui darde
Par les yeux des flèches de feu
Qui lui feront jouer beau jeu.
La voilà toute requinquée,
Qui ne songe plus à Sichée ;
Au contraire, elle dit tout bas :
"Le défunt ne le valait pas ;
Un tel mari vaudrait bien l’autre
Si nous le pouvions rendre nôtre !
Si je ne craignais les discours,
Devant qu’il se passât huit jours,
Je le prendrais en mariage."
Par ce discours qui n’est pas sage,
La pauvrette ainsi se flattait.
Aeneas aussi se gâtait,
Et, tout rempli du faux Ascagne,
Faisait des châteaux en Espagne.
Il disait, regardant Didon
(C’était une grosse dondon,
Grasse, vigoureuse, bien saine,
Un peu camuse, à l’africaine,
Mais agréable au dernier point) ;
Il disait donc, d’amour époint,
Les deux yeux fichés dessus elle,
Plus allumés qu’une chandelle :
"O