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COMIQUE


bits, et nous divertirions quatre ou cinq jours messieurs <de la ville, avant que de gagner Àlençon, où le reste de la troupe a le rendez vous. La réponse du comédien fit ouvrir les oreilles à tout le monde. La Rappiniere offrit une vieille robe de sa femme à la Caverne, et la tripotiere <leux ou trois paires d’habits qu’elle avoir en gage, à Destin, et à la Rancune. Mais, ajoûta quelqu’un de la compagnie, vous n’êtes que trois. J’ai joué une pièce moi seul, dit la Rancune, et j’ai fait en même tems le Roi, la Reine, et l’Ambassadeur. Je parlois en fausset quand je faisois la Reine ; je parlois du nez pour l’Ambassadeur, et me tournois vers ma couronne que je posois sur une chaise ; et pour le Roi, je reprenois mon siège, ma couronne, et ma gravité, et grossissois un peu ma voix : et qu’ainsi ne soit, si vous voulez contenter notre charretier, et payer notre dépense en l’hôtellerie, fournissez vos habits, et nous jouerons avant que la nuit vienne ; ou bien nous irons boire avec votre permission, et nous reposer, car nous avons fait une grande journée. Le parti plut à la compagnie, et le diable de la Rappiniere qui s’avisoit toujours de quelque malice, dit qu’il ne falloit point d’autres habits que ceux des deux jeunes hommes de la ville, qui jouoient une partie dans le tripot, et que mademoiselle de la Caverne en son habit d’ordinaire, pourroit passer pour tout ce que l’on voudroit en une comédie. Aussi-tôt dit, aussi-tôt fait, en moins d’un demi quart-d’heure les comédiens eurent bu chacun deux ou trois coups, furent travestis ; et l’assemblée qui s’étoit grossie, ayant pris place en une chambre haute, on vit derrière un drap sale que l’on leva, le comédien Destin couché sur un matelas, un corbillon sur la tête qui


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