Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/302

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et voyant que ma vie m’étoit moins chère que mon honneur, à l’aide du complice de son crime il me prit par force, ce qu’il n’eût jamais obtenu par ses cajolleries. L’esclave fit la furieuse, et pour mieux cacher sa perfidie, se fit légèrement blesser à une main, et ensuite fit l’évanouïe. Le jardinier revint, votre neveu épouvanté de son crime même, se sauva par-dessus la muraille du jardin avec tant de précipitation, qu’il laissa tomber son poignard que je ramassai. Cet insolent jeune-homme n’avoit pourtant alors rien à craindre ; car n’étant pas en état de le faire arrêter, j’eusse eu assez de foras sur mon esprit pour faire bonne mine et pour dissimuler l’effroyable malheur qui venoit de m’arriver. Je fis ce que je pus pour ne paraître pas plus triste qu’à lordinaire. La méchante esclave disparut à quelque tems de-là. Je perdis ma mére, et puis dire que j’aurois tout perdu avec elle, si ma tante que vous voyez, n’avoit eu la bonté de me recevoir chez elle, où elle ne met aucune différence entre ses deux aimables filles et moi. C’est en sa maison que j’ai appris que votre neveu étoit si éloigné de réparer le tort qu’il m’avoit fait, qu’il étoit prêt à se marier en cette ville. Je suis venue en la plus grande diligence que j’ai pu, afin qu’avant de sortir de votre chambre, vous me donniez en argent ou en pierreries deux mille écus pour me rendre religieuse ; car après ce que je sais par expérience du naturel de ce cavalier je ne pourrais jamais me résoudre à l’épouser, quand lui et tous les siens voudraient me le persuader par toutes sortes d’offres et de prières. Je sai bien qu’il se marie cette nuit, mais je vais m’y opposer, et faire un éclat qui lui nuira toute sa vie, si vous n’y donnez l’ordre que je viens de vous proposer. Et pour faire voir,