Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/326

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tant de la douleur du châtiment qu’elles avoient souffert, que de ce qu’il leur avoit tout emporté, et qu’elles se trouvoient seules et attachées à des arbres dans un lieu où elles pouvoient être mangées des loups. Elles se regardaient tristement sans se rien dire, quand un lièvre passa entr’elles. À quelque tems de-là elles virent un chien qui étoit sur ses voies, et sur celles du chien un cavalier bien monté, et ce cavalier étoit Dom-Sanche de Villefagnan, qui étoit venu à Burgos voir son frère malade, et lui tenoit alors compagnie dans une maison de campagne qu’il avoit près de-là, où il étoit venu prendre l’air. Il trouva bien étrange de voir deux femmes ainsi attachées, et fut bien surpris quand le visage de l’une d’elles lui représenta cette belle étrangère qu’il avoit vue à Tolède, qu’il avoit tant cherchée dans Madrid, et qu’il avoit depuis toujours eue dans l’esprit. Comme il avoit a’abord cru fortement qu’elle étoit femme de qualité et mariée, il doutoit que ce fut elle, ne pouvant se persuader qu’elle eût osé prendre la liberté de venir si loin eu si mauvais équipage ; mais le visage d’Héléne qui n’avoit rien perdu de sa beauté, quoique triste et effrayé, lui faisoit croire qu’il avoit enfin trouvé ce qui lui avoit tant coûté de désirs et d’inquiétudes : il se haussa sut les étriers, et porta sa vue sur tous les lieux d’alentour, pour voir s’il étoit seul ; et il fut assez sot pour craindre que ce ne fût une illusion diabolique, que dieu permettoit pour le punir de sa sensualité. Hélène de son côté avoit une pensée qui ne valoit pas mieux, et avoit grand’peur que le ciel n’eût choisi ce jour-là pour assembler autour d’elle tous ceux qui avoient à lui demander quelque chose. Dom-Sanche considérait Héléne, fort étonné ; elle le