Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/332

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il le releva de terre où on l’avoit jette, l’embrassa et le baisa tout plein qu’il étoit de sang et de boue, et fit une rude réprimande au peuple. Je suis le méchant, disoit-il à ceux qui voulurent l’entendre : je suis le pécheur, je suis celui qui n’ai jamais rien fait d’agréable aux yeux de dieu. Pensez-vous, continuoit-il, parce que vous me voyez vêtu en homme de bien, que je n’aye pas été toute ma vie un larron, le scandale des autres et la perdition de moi-même ? Vous vous trompez, mes frères ; faites-moi le but de vos injures et de vos pierres, et tirez sur moi vos épées. Après avoir dit ces paroles avec une fausse douceur, il s’alla jetter avec un zéle encore plus faux aux pieds de son ennemi, et les lui baisant, non seulement il lui demanda pardon, mais il alla ramasser son épée, son manteau et son chapeau, qui s’étoient perdus dans la confusion. Il les rajusta sur lui, et l’ayant ramené par la main jusqu’au bout de la rue, il se sépara de lui après l’avoir embrassé plusieurs fois, et lui avoir donné autant de bénédictions. Le pauvre homme étoit comme enchanté, et de ce qu’il avoit vu, et de ce qu’on lui avoit fait, et si plein de confusion, qu’on ne le vit pas paroître dans les rues, tant que ses affaires le retinrent à Séville. Montufar cependant y avoit gagné le cœur de tout le monde, par cet acte d’humilité contrefaite. Le peuple le regardoit avec admiration, et les enfans crioient après lui : Au saint! au saint ! au saint ! comme iis eussent crié, au renard ! après son ennemi, s’ils l’eusssent trouvé dans les rues. Dès ce tems-là il commença de mener la vie du monde la plus heureuse. Le grand seigneur, le cavalier, le magistrat et le prélat, l’avoient tous les jours à manger, à l’envi les uns des autres. Si on lui demandoit son nom, il répondoit qu’il étoit un animal