Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/333

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animal, une bête de charge, un cloaque d’ordures, un vaisseau d’iniquité, et autres pareils titres que lui dictoit sa dévotion étudiée. Il passoit les jours sur les estrades avec les dames de la ville, se plaignant incessamment à elles de sa tiédeur, qu’il n’étoit pas bien dans son néant, qu’il n’avoit jamais assez de concentration de cœur, ni de recueillement d’esprit, et enfin ne leur parlant jamais qu’en ce magnifique jargon de la cagotterie. Il ne se faisoit plus d’aumônes dans Séville qui ne passassent par ses mains ou par celles d’Héléne et de Mendez, qui de leur côté ne jouoient pas moins bien leurs personnages, et dont les noms n’ailoient pas moins droit prendre place dans le calendrier que celui de Montufar. Une veuve, dame de condition, et dévote à vingt-quatre carats, leur envoyoit chaque jour deux plats pour leur dîné et autant pour leur soupé, et ces plats étoient assaisonnés par le meilleur cuisinier de la ville. La maison étoit trop petite pour le grand nombre de présens qui y entroient, et de dames qui les visitoient. La femme qui avoit envie d’être grosse, leur mettoit entre les mains sa requête, afin qu’ils la présentassent en diligence devant le tribunal de dieu, et la fissent répondre de-même. Celle qui avoit un fils aux Indes n’en faisoit pas moins, non plus que celle dont le frère étoit prisonnier en Alger. Et la pauvre veuve qui plaidoit devant un juge ignorant contre un homme puissant, ne doutoit plus du gain de sa cause, depuis qu’elle leur avoit fait un présent selon ses forces. Les unes leur donnoient des confitures, les autres des tableaux et des ornemens pour leur oratoire. Quelquefois on leur donnoit du linge et des hardes pour les pauvres honteux, et souvent des sommes d’argent considérables pour les distribuer selon qu’ils