Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/338

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rencontra un gentilhomme de Grenade, qui surpassa tous ses concurrens en excès d’amour et de dépense. Il étoit de si bonne maison, que les titres de sa noblesse se pouvoient trouver dans les archives de la ville capitale de Judée, et ceux qui connoissoient particulièrement sa race, assuraient que ses ayeux avoient tenu le greffe criminel de Jérusalem ayant et après Caïphe. L’amour qu’il eut pour Héléne, lui fit tirer en peu de tems un grand nombre de pistoles hors de l’obscure prison où il les avoit mises, En peu de tems la maison d’Héléne fut la mieux meublée qu’il y eût dans Madrid. Un carosse dont elle n’avoit point la peine de nourrir les chevaux, se trouvoit mus les matins à sa porte, y recevoit ses ordres, et rouloit jusqu’à la nuit ppur son service, Cet amant prodigue lui loua une loge à la comédie pour toute l’année, et il ne se passait guère de jours qu’il ne fît préparer quelque magnifique collation pour elle et pour ses amies dans les maisons de plaisir qui sont aux environs de la ville, Montufar y contentoit à souhait sa gloutonie naturelle, et vêtu comme un prince, et en argent comme un financier, il mangeoit tous les jours en François et buvoit en Allemand. Il avoit de grandes déférences pour le libéral Grenadin, et n’étoit pas chiche de remerciemens envers la fortune : mais le vent se changea et fit élever une horrible tempête. Héléne souffroit les visites d’un jeune-homme de ces braves de villes, qui ne le sont jamais à la campagne, qui vivent aux dépens de quelque misérable courtisane qu’ils tyrannisent, qui vont tous les jours à la comédie pour y faire du bruit, et qui toutes les nuits faussent leurs épées, et leur font des brèches contre les murailles, jurant le matin qu’ils ont eu une furieuse rencontre avec leurs ennemis. Montufar fit savoir plusieurs