Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/435

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faire un trou dans la muraille qui séparoit sa chambre de celle d’un voisin, qui n’avoit pas plutôt allumé sa chandelle, que Marcos ouvroit son trou, et recevoit par-là assez de lumiére pour ce qu’il avoit à faire. Ne pouvant se dispenser de porter une épée postiche, à cause, de sa noblesse qui l’étoit aussi, il la portoit un jour à droit et l’autre à gauche, afin qu’elle usât ses chausses en symétrie, et que le dommage en fût moindre, étant également partagé. Dès la pointe du jour il se tenoit sur sa porte, et demandoit de grace une fois à boire à tous porteurs d’eau qu’il voyoit, et ainsi se fournissoit d’eau pour plusieurs jours. Il entroit souvent dans une petite salle du commun, à l’heure que les autres domestiques de son maître y prenoient leurs repas, et là louoit ce qu’ils mangeoient pour avoir droit d’en tâter. Il n’acheta jamais de vin, et en buvoit tous les jours, ou tâtant de celui des crieurs publics, ou arrêtant dans les rues ceux qui venoient d’en prendre au cabaret, à qui il en demandoit par essai pour en acheter de semblable. Venant à Madrid sur une mule, il trompa si bien les yeux de ses hôtes, qu’il ne la nourrit que des paillasses des lits où il coucha, et s’étant lassé dès le premier jour de payer la nourriture du premier valet qu’il eut jamais, il feignit de ne pouvoir boire du vin de l’hôte, et envoya son valet en chercher d’autre à une grande lieue de l’hôtellerie où il avoit mis pied à terre. Le valet y alla sur la bonne foi de son maître, qui cependant avoit gagné le devant, et ainsi le pauvre garçon fut réduit à demander l’aumône jusqu’à Madrid. Enfin Dom-Marcos fut le portrait vivant de l’avarice et de la lézine, et fut si bien reconnu pour l’homme d’Espagne le plus avare, que dans Madrid on n’appelloit plus un avaricieux que Dom-Marcos. Son