Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/436

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maître et tous ses amis en faisoient mille bons contes, et même devant lui, parce qu’il entendoit parfaitement raillerie. Il disoit qu’une femme ne pouvoit être belle, si elle aimoit à prendre, ni laide, si elle donnoit ; et qu’un homme prudent ne devoit jamais se coucher qu’il n’eût profité de quelque chose. Sa belle théorie secondée d’une pratique fort exacte, lui avoit acquis à l’âge de quarante ans plus de dix mille écus en argent ( somme immense pour un écuyer de grand-seigneur, et encore Espagnol.) Mais que ne gagne-t-on point à la longue, quand on dérobe tout ce qu’on peut à soi-même, et aux autres ? Dom-Marcos ayant la réputation d’être riche sans être débauché ni joueur, fut bientôt demandé en mariage par plusieurs femmes intéressées, dont le nombre n’est jamais petit. Entre celles qui lui offrirent leur liberté, il se trouvoit une Isidore, femme qui passoit pour veuve, quoique véritablement elle n’eût jamais été mariée, et qui paroissoit plus jeune qu’elle n’étoit, par les déguisemens qu’elle savoit donner à son visage, et par l’art de s’ajuster, qu’elle savoit parfaitement. On jugeoit de son bien par sa dépense, qui n’étoit pas petite pour une femme de sa condition ; et le monde, qui est souvent téméraire et menteur, lui donnoit pour le moins trois mille livres de rente, et pour dix mille écus de meubles. Celui qui proposa à Dom-Marcos son mariage avec Isidore, étoit un insigne fripon, courtier de toutes sortes de marchandises, et marchand en gros de femmes faciles. Il parla si avantageusement d’Isidore à Dom-Marcos, qu’il lui fit venir l’envie de la connoître (curiosité qu’il n’avoir jamais eue pour personne,) et il lui persuada si bien qu’elle étoit riche et veuve d’un cavalier des meilleures maisons d’Andalousie, que dès-lors il se tint quasi pour marié. Le jour même