Page:Scarron - Théâtre complet, tome 3, 1775.djvu/303

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ENTRÉE DE MATAMORE parlant à son Valet.

Je te le dis encor, je suis l'honneur du monde,

Le Soleil qui voit tout en cette masse ronde,

Peut bien dire au mépris des hommes et des Dieux,

Que je suis l'ornement de la terre et des Cieux :

Mais, ventre, je vois bien que ton âme est déçue,

Par la débilité de ta mauvaise vue.

Petit rat de montagne assoupi du sommeil,

Aigle bâtard, tes yeux s'aveuglent au Soleil,

Tu n'as pu concevoir les merveilles étranges,

Qui me dressent un trône au-dessus des louanges ;

Et par qui tout le monde est contraint d'avouer,

Qu'il n'appartient qu'à moi de me savoir louer.

Achille eut un Homère, Énée eut un Virgile,

Auguste eut un Ovide, et moi j'en ai cent mille :

Mais par tant de hauts faits mon nom s'est élevé,

Que de quatre mille ans ils n'auront achevé.

Toutefois cependant qu'ils tracent mon Histoire,

Je travaille moi-même au récit de ma gloire,

Et par le moindre effet que j'en vais décrivant,

Je serai la terreur du siècle survivant.

Le Ciel parlant de moi s'explique en des Oracles,

La terre et tout son peuple admire mes miracles.

J'ai vu des Quinze-Vingts qui ne me voyaient point,

Exalter ma beauté jusques au dernier point :

Et tel était le son de leurs justes louanges.

Cet homme est aussi beau que deux millions d'Anges.