Page:Scarron - Théâtre complet, tome 3, 1775.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ODE DE MATAMORE.

Oui, je m'en souviens, que depuis quelque temps

Pour rendre absolument tous mes désirs contents,

J'ai mis dessus le gril de même que des huîtres

Les détestables coeurs de quatorze bélîtres,

J'ajustai cent coquins, comme on fait des anchois,

Je fis bouillir des sots ainsi qu'on fait des pois,

Je fis des cervelas de tous les frénétiques,

Puis je mis à la broche onze cent Républiques ;

Je fis un hochepot de dix mille goujats,

Je fis un consommé de quinze boulevards ;

Je fis un court bouillon d'une terre affligée

Puis je fis un pâté d'une ville assiégée,

Je fis un saupiquet de plusieurs forcenés.

Je fricassai moi seul la plupart des damnés,

Je pris les volontés des cervelles malfaites,

Et je les embrochai comme des alouettes ;

Je mis tout l'Océan dedans un pot de fer,

Puis je mis le grand pot sur le brasier d'Enfer ;

Je mis dedans le pot en guise de volaille,

L'épouvantable bruit d'une horrible bataille ;

J'y mis pour le salé tous les charivaris,

J'y mis pour du mouton, les Filous de Paris,

Pour des jarrets de veau, les fureurs de Bellone,

Et pour du boeuf tremblant, la tour de Babylone :

Enfin pour achever j'y mis tous les malheurs,

Et tous les hurlements en guise de choux-fleurs.

Quand j'eus fait ce potage aimable et magnifique,

Soudain je fis encor une excellente bisque,