Page:Schœlcher - Le procès de Marie-Galante, 1851.djvu/46

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Parmi ces trente-neuf signataires, trente-quatre ont servi de témoins et les sieurs Oscar Sauvaire et Ludolphe qui dénonçaient le citoyen Alonzo sont précisément les individus qui plus tard ont été poursuivis comme coupables de l’assassinat commis, le jour même de la signature de cette pièce, sur la personne du noir Jean-Charles !!!… Si de pareils témoins n’étaient pas rigoureusement reprochables, de quel poids cependant pouvaient-ils être dans la balance de la justice devant une Cour d’assises qui ne doit aucun compte des inspirations de sa conscience ? Ne le voit-on pas ? ces trente-quatre signataires ne se bornent pas à signaler de prétendus griefs, ils formulent un jugement : « Pour mettre fin à nos malheurs, nous dénonçons le citoyen Alonzo ! » On a mis fin à leurs malheurs en condamnant cet homme qui a montré, dans tout le cours des débats, un caractère d’une noblesse simple et grande, digne des plus belles figures du Plutarque.

La passion politique fut rarement poussée plus loin que dans cette dénonciation. Comment a-t-on pu la signer sans fournir au moins une apparence de preuve ? Où donc l’importance que s’est acquise un citoyen suffit-elle pour le rendre responsable de tous les excès qui viendront à se commettre ?

Les propriétaires de Marie-Galante reprochent à M. Alonzo son immense influence sur l’esprit des cultivateurs. Les ingrats ! Cette influence, il l’avait mise au service de l’ordre, il l’avait employée à rétablir la tranquillité et le travail sur toutes leurs habitations. Laissons à cet égard parler M. Gatine soutenant devant la Cour suprême le pourvoi en cassation du noble condamné.

« Alonzo ! Étranges et tristes vicissitudes des choses d’ici-bas ! Ah ! ce n’est pas sans émotion que je prête ici le secours de ma parole à cet accusé. Naguère encore, lorsque le grand jour de l’émancipation s’était levé, lorsque j’apportais aux populations de la Guadeloupe le décret libérateur, je vis Alonzo à Marie-Galante. De la condition d’esclave il s’était élevé a l’état d’homme libre par son travail et l’énergie de sa volonté. Il s’était ensuite créé un commerce et un patrimoine ; auprès de lui ses anciens compa-